Dans l’oeil des autres
Je suis convaincue qu’on se dit tous et toutes qu’on doit s’accepter, vivre avec le SED et focaliser notre énergie sur la personne qu’on est plutôt que l’enveloppe corporelle. C’est nettement plus facile à dire qu’à faire. On parle du SED comme d’une maladie invisible. Pourtant, en le sachant je ne vois que ça.
La peau élastique amène certains surnoms dès l’enfance: «Jell-O». J’ai également entendu «moelleux» lorsque j’étais au secondaire. Parce que les tissus sont plus malléables et moins tonifiés, courir provoque des inconforts et, comme j’aime le nommer, le corps ballote. Mieux vaut en rire qu’en pleurer?
Le mépris vient souvent des membres de la famille qui portent la même maladie. Une simple projection et les craintes des autres se transforment en mise en garde ou en insulte. Plus jeune, j’ai voulu m’inscrire à la gym et ma mère m’avertit de ne pas faire ça, les gens vont rire de moi. Le phénomène se répète lorsque je commence à fréquenter un entraîneur, elle me dit qu’il ne restera jamais avec moi parce que les hommes comme ça aiment les corps tonifiés. Moi-même, toute petite, en regardant les corps de ma mère et de mes tantes, je vois déjà la différence avec les autres. Par manque de sensibilité, j’ai eu des propos blessants, ignorant toute la portée qu’ils pouvaient avoir sur leur propre perception.
Dans une ère moderne comme la nôtre alors que la chirurgie plastique devient une norme et que les neuromodulateurs sont d’usage chez une clientèle de plus en plus jeune, je crois que l’acceptation est plus ardue. Sachant que les interventions chirurgicales «récréatives» ne nous sont pas permises, on doit aussi apprendre à vivre avec cette différence.
Je me souviens de ma mère se magasinant un maillot de femme-grenouille pour aller nager. N’acceptant pas l’aspect de son corps et la texture de sa peau, il lui en coûtait tellement qu’elle préférait se camoufler. Ne trouvant pas ce qu’elle cherchait, elle abandonne et traverse des étés entiers sans se baigner. Même combat également dans le choix de ses vêtements; elle portait toujours une blouse ou une veste comme par-dessus.
Je ne suis moi-même pas à l’abri puisque je choisis des vêtements en fonction de ce qu’ils dissimulent. Je ne m’expose en maillot qu’avec les personnes que je connais suffisamment. J’essaie d’assumer et fais semblant de rien, mais l’inconfort et la vulnérabilité perlent sans doute sur moi en espérant qu’un jour, je lâcherai prise et porterai ce dont j’ai vraiment envie.